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Le  Jōdō

La Voie du Bâton


I. Historique


Paradoxalement dans l’histoire des Arts martiaux, le JO JUTSU est né d’une défaite. 

Au 17eme siècle au Japon, un samouraï du nom de Muso Gonnosuke fut battu en duel par le génie du sabre de tous les temps, Myamoto Musashi qui pratiquait l’escrime à deux sabres, NITTO, qu’il avait amélioré à la faveur de ses nombreux duels.

Humilié par cette défaite, Gonnosuke se retira pour méditer sur le mont HONNAN, dans l’île de Kyushu, au sud du Japon. De nombreux moines guerriers, les Yama Bushi y résidaient à cette époque car le site était connu comme un lieu de retraite propice à la méditation. Il l’est encore.

Pendant longtemps, dit-on, Gonnosuke vécut dans une grotte et réfléchit dans la solitude à une méthode de combat, autre que le sabre, pour triompher de Musashi.

Au terme de ses recherches et de nombreux essais, Muso Gonnosuke parvint à la conclusion que la seule solution pour vaincre Musashi était l’usage d’un simple bâton de 1.28 m de long, de forme ronde de diamètre 2.4 cm. Il choisit alors le meilleur bois que l’on puisse trouver au Japon : le chêne blanc.

La rencontre du Jo et du sabre se termina par la victoire du Jo.

Représentation de Muso Gonnosuke 

et de Myamoto Musashi 


A cette époque on parlait de JO JUTSU et l’école où il se pratiquait et se pratique toujours s’appelle SHINDO MUSO RYU.

 Pendant longtemps la pratique est restée confidentielle, au Japon même et à fortiori pour le monde occidental. Dans le Japon "moderne", les BU JUTSU, techniques guerrières devinrent des Budo ou des Voies. L’état d’esprit s’en est trouvé complètement changé :

  • Les Bujutsu ont été créés pour une élite (militaire) pour défendre une autorité menacée ou susceptible de l’être (Shogun, Daïmyo etc.). La notion de combat est prédominante. Un Bujutsu doit être pratique.
  • Les Budo, produit d’un environnement paisible, ont été créés pour tout individu, sans distinction, recherchant une compréhension de la vie à travers une expérience personnelle intense afin de se réaliser pleinement et de s’inscrire dans une société qui recherche la paix et l’harmonie.


 Du JO JUTSU au JODO  

Naissance du Seitei Jo


Dans les années 60, Maître Shimizu et Maître Otofuji décidèrent de populariser un art du bâton pouvant être une étude complémentaire pour les pratiquants de Kendo. Ils sélectionnèrent 12 katas de l’école Shindo Muso Ryu et y apportèrent des modifications afin de les inscrire dans une Voie (DO) et de diffuser le JODO auprès du plus grand nombre. 

Shimizu et Kaminoda Senseï


La Zen Nihon Kendo Renmei Jodo existe depuis 1968. 

Elle édite un livret technique écrit par un collège d’experts qui évolue au fil du temps : ZNKR SEITEI JODO

Lien vers le livret en pdf


Ainsi naquît le JODO en 1968. 

Nous pratiquons donc le SEITEI JODO, qui s’inscrit dans une longue histoire, depuis le Japon féodal jusqu’à nos jours.

Un Art Martial ne peut pas être dissocié de la culture dans laquelle il est né. Parfois déroutant pour nous. 

C’est pourquoi, je vous invite à décoder un peu, l’état d’esprit, le lieu, le comportement à avoir lorsque nous pratiquons ensemble.


 II. Le Dojo et l’a​ttitude (Shisei)


Le Dojo

Dans un Budo, le lieu où on pratique se nomme Dojo. Cette notion n’indique pas seulement un endroit, mais plutôt un état d’esprit.

Tout d’abord, c’est un lieu qui doit être respecté car il permet de mettre en pratique les valeurs portées par le Jodo : le respect, la confiance, la patience, la rectitude et la détermination.

Il représente aussi le respect envers les pratiquants plus anciens qui à travers l’enseignant nous permettent d’apprendre. Pour toutes ces raisons, chacun fait de son mieux pour le maintenir propre. Historiquement un Dojo est constitué de la façon suivante :



Bien sûr, de nos jours il est rare d’avoir un lieu de pratique qui soit conforme à ce modèle, mais même s’il s’agit d’un gymnase, nous devons essayer d’organiser l’espace pour s’en rapprocher. Organiser l’espace c’est aussi organiser / discipliner son esprit.

 

L’esprit de la pratique est tourné vers l’entraide et la prospérité mutuelle. Chacun a son niveau, avec ses capacités. Le seul combat est celui contre soi-même. Ce n’est pas un combat d’ego, puisque comme nous allons le voir, le Jodo se pratique sous forme de mouvements connus par avance : les Katas.


      Les armes


  • Le bâton ou "Jo" est en chêne blanc du Japon et mesure 1m28 de long pour un diamètre de 2.4 cm

  •  Le Tachi ou Bokken

la Tsuba (garde)


Le bokken est lui aussi en chêne blanc du japon. Il se tient le plus souvent à deux mains, la main droite près de la tsuba et la main gauche derrière. La main gauche est près de l’extrémité de la Tsuka (Tsuka Kashira). Il représente un "vrai" sabre, qui normalement est tranchant et se trouve dans un fourreau (Saya).


     Le déplacement dans le Dojo


Les armes sont déposées près de la surface de travail. Le bokken, tranchant dirigé vers l’extérieur. Lorsqu’on prend les armes, on plie les genoux sans se pencher. Ceci est l’héritage du temps où un ennemi pouvait profiter du moindre déséquilibre ou inattention pour attaquer. Pour se déplacer avec les armes, on place celles-ci sous le bras droit comme sur le dessin :

NB : tenir le Bokken lame vers le haut puisque protégée par le fourreau (saya)

 

  

     L’habillement


La tenue se compose d’une veste d’entrainement appelée  keikogi  de couleur bleu marine et d’un pantalon japonais le  hakama de la même couleur. 

Pour fermer la veste et tenir le hakama, on utilise une ceinture ou obi . 

Il existe beaucoup de façon de mettre le hakama, les anciens sont là pour aider les plus jeunes.


 Déplacement dans le Dojo et position d’attente


TSUNE NO KAMAE



SAGETO

RITSU JO


     Le salut


Tout est ritualisé dans la pratique d’un Budo. 

Cela aide simplement à la concentration, à entrer dans la pratique.

Il ne s’agit pas de vénération ou d’obséquiosité, mais de se couper des préoccupations de la journée et se préparer à ce qu’on va faire. On salue quand on rentre dans le Dojo pour marquer le fait que c’est un lieu particulier, comme nous venons de le voir. Le salut est une marque de respect.

  • On salue le professeur à chaque fois qu’il transmet, démontre, explique
  • On salut son partenaire car sans lui, aucun apprentissage n’est possible
  • Au début et à la fin du cours, on salue le Kamiza ou Shinzen en souvenir de ceux qui nous ont précédés sur la Voie (Do)
  • On peut saluer debout ou à genoux au début du cours. Dans le Jodo, tous les autres saluts se font debout

Pour saluer avec le Jo, on bascule le bâton sur l’arrière de façon à ce qu’il soit en contact avec l’arrière de l’épaule, le Sagejo, puis on s’incline.

Pour saluer avec le bokken, on s’incline simplement à partir de la position d’attente Sageto.


 

 III. Les objectifs et l’état d’esprit du Jodo


  • Le respect d’autrui, la confiance, la patience,
  • La santé : le corps se renforcera, les réflexes s’affineront,
  • Le Shiseï : par une position correcte du corps on obtiendra une meilleure présence,
  • Le jugement : meilleures facultés d’adaptation, meilleures prises de décision,
  • Le comportement : en adoptant une attitude de plus en plus juste, nous serons à même de faire face avec harmonie aux différents aléas de la vie.


 Dans l’esprit du Jodo nous ne devons pas avoir l’esprit offensif, le but est de contrôler l’action de l’autre. 

Celui-ci est un partenaire ou Aïté. Ce n’est pas un combat dont l’objectif serait la destruction de l’autre.

 

Le bâton et le sabre


Celui qui utilise le bâton ou Jo, se nomme Shidachi ou Shijo. Son objectif n’est ni l’attaque offensive ni la protection attentiste. Il change la situation d’attaque pour "annuler"  l’action de l’autre.

Celui qui utilise le sabre ou bokken, se nomme Uchidachi. Son objectif est de fournir un support d’étude pour le maniement du bâton. Par l’exactitude des coupes, des déplacements et des rythmes, il permet à Shidachi de découvrir lui aussi l’exactitude dans le maniement du bâton, ses déplacements et son rythme si particulier. Ce rôle très important est Motodachi : celui qui guide, un peu comme un père permet à son fils de grandir et d’évoluer vers l’autonomie. Dans l’idéal, Uchidachi est plus ancien que Shijo.

Il s’agit de former un Jodoka. En aucun cas, la situation du kata ne doit être modifiée. 

Ce cadre est comme une partition : chaque acteur doit jouer son rôle pour qu’une harmonie s’en dégage.

 

Motodachi : celui qui guide


Le jugement doit s’améliorer à travers de meilleures capacités d’adaptation. Motodachi varie la difficulté en modulant l’amplitude, la vitesse, le rythme. Il permet à Shijo de s’adapter dans le cadre apparemment rigide du kata. La capacité d’adaptation : c’est développer sa sensibilité, la finesse, la subtilité …. Contenu dans le kata.

Améliorer ses prises de décision. Percevoir le début de l’action, bouger ni trop tôt, ni trop tard. Maîtriser ses émotions comme la peur ou l’agressivité face à une coupe. Affirmer sa détermination à faire ce qui doit être fait dans le bon "timing", en accord avec l’action de l’autre. Motodachi doit être capable de faire découvrir cela en adaptant ses actions au niveau de Shijo. Il doit former un Jodoka …. Etre un formateur exigent mais pas dominant, patient et attentif à l’autre : c’est la noblesse de Motodachi.

Le comportement : si l’attitude est juste dans la relation à deux, elle pourra l’être aussi dans la vie. Les qualités humaines développées par la pratique dépassent la pratique. Celui qui guide et celui qui est guidé évoluent ensemble.

Sans ces capacités, le Shiseï ne pourra pas être développé et aucune détermination ni aucune intensité ne pourra apparaitre dans le geste


 L’apprentissage par les kihons et les katas


On pratique des exercices de maniement du Jo : les kihons. D’abord seul, puis à deux.

Les kihons sont la base même de la pratique. S’ils sont mal maitrisés, aucun kata ne pourra être juste. Ils servent à développer :

     1) La stabilité : c’est l’équilibre.

     2) L‘aisance : la connaissance parfaite du geste.

     3) La détente : pas de crispations musculaires, ni de tensions mentales.

     4) La précision : celle obtenue par l’unité du corps.

 

Les kihons pratiqués seul ou à deux ainsi que les katas sont décrits avec précision dans le livret explicatif Zen Nihon Kendo Renmei Jodo (ZNKR). Celui-ci contient la façon de faire, les objectifs et les points à observer. Cependant, il ne s’agit pas d’un livret de progression.

Lien vers le livret en Pdf


Nous avons besoin d’exercices pour développer la motricité, la perception des parties du corps mises en jeu lors de l’exécution du kihon, pour acquérir la stabilité et l’unité du corps.

Nous avons besoin d’outils pédagogiques pour ressentir comment exécuter une coupe, une frappe, une action qui semble simple mais en fait complexe. Pour développer la connaissance parfaite du geste et la précision.

Souvent, nous voulons atteindre la "perfection" sans passer par des étapes pourtant incontournables. La simplification puis la complexification progressive d’un geste par des exercices progressifs permet de comprendre, de ressentir, de digérer, de produire et d’affiner sans cesse. Rien n’est définitivement acquis.

 

Les katas sont des mises en situation. Uchidachi à un rôle à tenir et Shijo lui répond de la façon la plus juste possible, en perfectionnant sans cesse les points que nous avons vu : l’utilisation correcte du corps permettant l’équilibre et l’unité, la connaissance parfaite du geste et la précision dans l’état d’esprit d’un Budo : sur une coupe effectuée avec sincérité, se préserver sans blesser gravement l’autre.

  

IV. Le nom des kihons et des katas


Les kihons sont des mouvements fondamentaux permettant d’apprendre le maniement du Jo. 

On peut les considérer comme un musicien qui fait des gammes pour savoir ensuite jouer de son instrument. 

Les kihons composent les katas, même si un kata n’est pas une suite de kihons. Il ne suffit pas de connaitre ses gammes pour jouer du Mozart ! mais sans faire de gamme, il est impossible de jouer du Mozart. 

Il y a 12 kihons qu’on peut pratiquer seul ou à deux. Certains se pratiquent à droite comme à gauche, d’autres uniquement à droite.

 

L’ordre d’apprentissage des kihons est important. Chacun développe une motricité différente. Au début, il faut décomposer car le kihon comporte des phases :

 

  • Un début "Yoï ", où on met en place une posture de départ,
  • Un déroulement, accompagné d’un kiaï,
  • Une alternance droite/gauche pour les 4 premiers kihons,
  • Un retour à la position de base entre chaque mouvement pour les autres,
  • En fin de parcours, on s’arrête YAME, on revient en Tsune no kamae MOTOE puis on se tourne vers la droite MAWARE MIGI pour repartir dans l’autre sens.

 

     Les Kihons



 

Quand on fait les kihons seul, on dit « Tandoku Dosa ». Les frappes doivent viser l’endroit où se trouverai un partenaire de la même taille que soi. Lors de la pratique à deux (sabre et jo) on parle de « Sotai Dosa », on s’adapte à son partenaire. Mais les objectifs restent les mêmes, rechercher :

  • Une posture correcte,
  • Le rythme, la distance correcte. Les frappes et les Tsuki (estoc) deviendront assurés,
  • L’exactitude du geste, les mouvements deviendront aisés et vivants. Plus rapides, plus pointus et plus précis,
  • Les Tsuki et les frappes plus francs. Avec plus de détermination, d’intensité,
  • Ressentir l’intention du partenaire dans son regard (Metsuke). Le Kiaï s’améliorera.

Le  Kiaï est un son émis lors des coupes (sabre) et les techniques de Jo. Dans un premier temps, il sert à expirer au moment où on a le plus besoin de donner de l’énergie au mouvement.

On prononce "EI" pour les frappes au Jo et "HO" pour les Tsuki. Au sabre, la coupe est accompagnée du son "EI". Ce son doit être produit en contractant les abdominaux, comme si on voulait souffler dans une sarbacane. 

Au début, si cela gêne, il suffit de penser à expirer rapidement.

 

     Les katas


Les katas sont des scénarios permettant de mettre en pratique avec un partenaire, l’étude du JODO. Il y a 12 katas de difficulté croissante :

Chacun à un objectif et des points techniques à respecter. Ils sont décrits dans le livret ZNKR.

Chaque kata démarre d’une position ou garde qui lui est propre. Les deux se trouvent à 4.5 m de distance. Uchidachi avance de 3 pas en garde Hasso no kamae, en partant du pied gauche. Il doit évaluer la distance pour pouvoir agir mais aussi ne pas être atteint par le Jo. A ce moment-là, il y a deux possibilités :

  • Uchidachi coupe sur un pas,
  • Uchidachi s’arrête et se met en garde en même temps que Shijo.

Dans le 2eme cas, on recherche une harmonie dans la mise en garde. On parle de « ki awase », de liaison des énergies. Au final, les armes se croisent. L’intersection se fait à un endroit précis du sabre : le Mono Uchi soit les 10 derniers centimètres. C’est la partie du sabre qui entre en contact avec la cible lors des coupes. Pour le Jo, on parle de Josaki correspondant aux 16 derniers centimètres. La hauteur de l’intersection correspond à la hauteur de la gorge.

Le kata commence dès que le sabre bouge, même s’il est encore à 4.5 m. Que fait le sabre ?

S’il s’agit du tout premier kata avec ce partenaire :

  • Le bokken est dans la main droite en position Sageto comme nous l’avons vu
  • Uchidachi salut (Shijo aussi à partir de Tsune no kamae => sagejo)
  • Le sabre est placé dans la main gauche au niveau de la ceinture, pouce sur le Tsuba en position Keito
  • Uchidachi se met en garde moyenne : Shudan no kamae
  • Shijo se met en garde / position de départ aussi
  • A la fin de la mise en garde du Jo, Uchidachi prend Hasso no kamae

S’il s’agit d’une série de katas, Uchidachi revient à sa place et "casse" la garde. On parle de Kamae no Toki kata. Puis il reprend la garde moyenne avant de recommencer un kata. Les positions respectives sont décrites dans le livret ZNKR pour chaque kata.


V. Conclusion


Le Jodo est sans fin. 

Chaque fois qu’une chose est maîtrisée, il y a un détail ou une façon de faire légèrement différente qui change parfois beaucoup de choses. 

Il faut rester curieux et ne pas rejeter la nouveauté car l’apprentissage se fait par étapes. On doit persévérer avec détermination car rien n’est définitivement acquis. 

Mais comme dit le proverbe :"quand on aime, on ne compte pas". Les anciens disent que la seule manière d’étudier un Budo c’est de le faire avec une attitude composée de 5 éléments :

Patience

Confiance

Humilité

Souplesse d’esprit

Disponibilité


Comme dans d’autres études, comme la musique par exemple, les progrès n’arrivent pas tout de suite. 

Il faut pratiquer le solfège et les exercices propres à son instrument avec patience. 

Il faut faire confiance à son professeur qui est passé par là avant nous. 

Il faut accepter qu’on ne sache pas tout et que la façon de faire peut changer. 

Et surtout, il faut être disponible pour pratiquer. 


Le Jodo est une pratique corporelle, et sans répétition …. le corps ne retient rien et il n’y a pas de progrès.


Le code moral d’un Budo est composé de 

LA POLITESSE

C’est le respect d’autrui

LE COURAGE

C’est faire ce qui est juste

LA SINCERITE

C’est s’exprimer sans déguiser sa pensée

L’HONNEUR

C’est être fidèle à la parole donnée

LA MODESTIE

C’est parler de soi sans orgueil

LE RESPECT

Sans respect aucune confiance ne peut naître

LE CONTROLE DE SOI

C’est savoir se taire quand la colère monte

L’AMITIE

C’est le plus pur des sentiments humains

Bon courage sur la Voie.